Point de vue

Comment revaloriser l'enseignement supérieur, par Antoine Compagnon, Pierre Schapira et Pierre Merlin

LE MONDE | 13.06.07 | 13h07








 Il existe aujourd'hui dans la communauté universitaire - étudiants, enseignants-chercheurs et personnels -, comme dans l'opinion publique et la société civile, un consensus sur la nécessité de réformer nos universités. Nous n'avons pas le droit de rater l'occasion. Au moment où le débat entre dans une phase accélérée et décisive, l'Association pour la qualité de la science française (QSF) souhaite rappeler quelques-unes des recommandations auxquelles elle réfléchit depuis vingt-cinq ans.


Pour l'autonomie et la responsabilité des universités : l'autonomie des universités inscrite dans la loi de 1984 n'a jamais été effective, et la répartition ministérielle égalitariste des moyens et des habilitations les déresponsabilise. Une vraie autonomie, portant sur le budget, les personnels, le patrimoine, les contrats, favorisera l'émulation entre les établissements et la recherche de l'optimum par chaque établissement dans ses spécialités.

Si la contractualisation pluriannuelle liant le ministère et les universités n'a pas suffi à les piloter, c'est que les résultats ne sont pas systématiquement pris en compte dans les décisions nationales et locales. L'autonomie réelle des universités exigera pour contrepartie une évaluation régulière, indépendante et compétente, servant à ajuster le financement des formations et de la recherche sur les résultats. Chaque université doit devenir comptable de tous ses choix, lesquels détermineront son identité.

Pour une gouvernance renforcée des universités : les universités n'ont pas aujourd'hui les moyens d'un fonctionnement efficace. Le président est élu par un collège de conseils eux-mêmes élus sur des bases syndicales et politiques ; les enseignants-chercheurs y sont sous-représentés au profit des autres catégories de personnels et des étudiants.

Le conseil d'administration doit devenir un conseil restreint d'orientation stratégique et ne plus ressembler à un comité d'entreprise. Le président - qui pourrait être une personnalité extérieure -, nommé par le conseil d'administration en concertation avec un collège où les enseignants-chercheurs seraient majoritaires, doit pouvoir conduire une politique de formation et de recherche à long terme.

Pour une orientation active : les universités sont ouvertes à tous, sans que le baccalauréat assure un niveau minimal d'entrée. Elles accueillent donc trop d'étudiants dont nul n'ignore au départ qu'ils sont condamnés à l'échec dans les filières où ils s'inscrivent (notamment la plupart des bacheliers professionnels dans les formations générales), alors qu'ils pourraient réussir ailleurs.

Tout jeune a droit à une formation post-baccalauréat - il faut l'affirmer avec force -, mais l'entrée à l'université doit faire l'objet d'une orientation attentive et active, voire d'une sélection.

Pour des droits d'inscription reflétant la réalité du coût des études : la quasi-gratuité des études supérieures, à la différence de la gratuité du primaire et du secondaire, n'a pas d'effet de redistribution des revenus ; elle n'est donc pas conforme à la justice sociale.

La modulation des droits d'inscription est le seul système équitable : le coût des études devrait être financé, selon les besoins de chacun, par des bourses ou prêts permettant aux étudiants venant de milieux défavorisés de poursuivre des études supérieures dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui. La vérité des coûts des études responsabiliserait les étudiants et les enseignants, alors que leur occultation, comme l'absence d'orientation active, favorise les étudiants des milieux aisés.

Pour la convergence des universités et des grands organismes de recherche : le financement de la recherche dans les universités est insuffisant, mais son augmentation ne saurait aller sans des réformes profondes de leurs rapports avec les grands organismes de recherche. A terme, les organismes devraient cesser de recruter à vie et s'ouvrir à la mobilité, suivant un statut unique de chercheur-enseignant embauché dans une université et détaché pour une période déterminée, éventuellement renouvelable, dans un organisme.

Pour une revalorisation matérielle et morale du statut des universitaires : les conditions matérielles de l'enseignement et de la recherche en France sont inférieures à celles des pays comparables. Les meilleurs cerveaux d'une génération ne seront pas attirés par l'enseignement et la recherche si les traitements ne sont pas réévalués et si les services d'enseignement, les charges d'examen et les responsabilités administratives ne sont pas modulés en fonction de la productivité et de l'inventivité.

Pour un redressement de l'école : aucune réforme des universités n'aboutira sans un redressement de l'école. A la sortie de l'enseignement primaire et secondaire, une proportion inacceptable d'élèves ne maîtrise ni les savoirs fondamentaux ni les bases du raisonnement. Instruments d'une politique complaisante menée depuis une trentaine d'années, les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ont aggravé les échecs de l'école. Leur intégration aux universités - conformément à la loi de 2005 sur l'école - ne sera profitable que si celles-ci exercent pleinement leur tutelle.

Pour une mise en place progressive de l'autonomie : l'autonomie des universités a ses risques. Si elle était donnée à toutes d'un seul coup, les étudiants paieraient les frais de la transition vers un nouvel équilibre.

C'est pourquoi elle devra être mise en oeuvre avec précaution et s'appliquer progressivement à l'ensemble des établissements, tandis que seront institués des dispositifs de régulation. L'autonomie des universités ne peut pas signifier l'absence d'accréditation des formations et des diplômes. On ne met pas sur le marché des médicaments ni des jouets sans autorisation ni contrôle - a fortiori des diplômes.


Antoine Compagnon, professeur de littérature française au Collège de France, président de l'Association pour la qualité de la science française (QSF) ;

Pierre Schapira, professeur de mathématiques Paris-VI, vice-président ;

Pierre Merlin, professeur d'urbanisme à Paris-I, président d'honneur.

Article paru dans l'édition du 14.06.07.